Résumé :
Je suis belle. De cette beauté qui gêne, qui crée un malaise. Ma beauté n’est pas classique, elle est animale, sexuelle, arrogante, anti-conventionnelle. Elle ne se coiffe pas, ne se discipline pas. Elle est à elle seule, le fil conducteur, l’itinéraire de toute mon existence. L’histoire d’Enja c’est l’histoire d’une fille trop. Trop belle, trop feignante, trop cul, trop défoncée qui veut juste profiter de la vie. Et pour ça, elle choisit d’être escort. C’est simple, elle aime ça et ça rapporte gros. Mais quand les années passent, le plaisir des débuts s’estompent et ramène au réel. Alors Enja se marie, fait deux enfants à un homme riche qui ne connait rien de son passé. Et quand les démons d’Enja ressurgissent, elle plonge tête la première. Mais cette fois, ce n’est pas elle l’escort… Roman contemporain, Bad Girl est écrit comme un rap dur et mélodique qui emporte tout sur son passage et nous laisse sonné.
Notre héroïne :
Enja est une fille extraordinaire, fonceuse, courageuse, ambitieuse, mais elle ne s’aime pas. Affublée d’un affreux manque de confiance en elle, qui malgré l’amour de grands-parents attentifs et attentionnés, ne parvient pas à s’aimer. Pire, elle n’arrive pas à aimer tout court. Elle s’attache, d’un amour maladroit, et ne donne ce sentiment de manière parcimonieuse qu’à deux femmes : sa mère et sa grand-mère. Des autres, elle n’en parle pas ou peu. Première constatation : l’homme est absent de son paysage affectif, il est de passage, utile ou traître, désintéressé ou inintéressant, faible ou dominant, mais sans légitimité en tout cas. En revanche, Enja comprend vite qu’elle possède un atout considérable : le charisme et la beauté. Elle envoûte, charme et captive. Ses premières expériences aussi sont décisives : le plaisir charnel est grisant, addictif, elle le ressent, elle le comprend.
Décidée à user de ses avantages et de profiter de la vie au maximum, captivée par d’étranges papillons de nuit, elle s’engouffre dans la brèche qui mène à la flamme de l’argent facile, du commerce des corps et des paradis artificiels.
Chronique annoncée d’une descente aux enfers dans un fourreau capiteux de poisons perfides. Au début, c’est euphorisant, mais le contrecoup de plus en plus brutal use l’âme, le corps et le cœur.
On sait dès le départ qu’Enja raconte… parce que, finalement, Enja a trouvé sa planche de salut, un homme beau, riche et sécurisant qui lui offre un asile et deux filles. Seulement, rappelez-vous ! Enja ne sait pas aimer. Comme tous les gens marginaux de familles marginalisées, elle ne sait pas où trouver la juste mesure, sa place dans la société, elle ignore comment aimer de manière simple, le sentiment ne vient pas, il n’est pas naturel. Et cet asile de normalité, confronté à ses démons, pourrait bien s’effilocher, s’effriter, voire exploser.
Bad girl, c’est aussi l’histoire d’une jeunesse désenchantée qui a vécu trop vite, trop fort et ne parvient plus à arrêter cet incendie d’envie, d’encore, qui la pousse à vouloir toujours plus, plus vite, plus fort, tandis que tout le reste acquiert cet aspect terne auquel on ne parvient pas à prendre goût. Et, du reste, ce sont aussi les effets de la cocaïne : la drogue laisse après le sevrage, une impression prégnante de fade, d’insipide, qui rend le sevrage à long terme extrêmement difficile.
Les personnages secondaires :
Je ferai un focus sur un personnage en particulier : celui de Leslie, la meilleure amie, complice d’Enja, partenaire en affaires, soutien indéfectible et pourtant… Tout le roman, on ne peut s’empêcher de se dire : « Et elle bordel, il va lui arriver quoi ? » Parce qu’on s’attache terriblement, même de manière infime à chaque personnage qui compose ce tableau fascinant, parfois glauque, mais toujours captivant. Surtout à Leslie : drôle, légère, pétillante.
Le style, c’est comment ?
L’écriture est très, très, très fluide, dès le départ. J’ai plongé sans aucun problème dans le roman et me suis laissée emporter au fil des pages avec un indiscutable délice : chacune se tourne seule, les chapitres défilent et la fin arrive sans qu’on l’ait vu approcher. Seul petit bémol : la correction qui laisse à désirer et qui, même si ça ne gêne pas la lecture, présente quelques majuscules oubliées, fautes diverses et – je pense – deux résidus de correction qui m’ont pour le moins surprise.
Pour résumer ?
On reconnaît bien la griffe de Franck Spengler qui dirigeât cet ouvrage et sa prédilection pour les sujets chocs, générationnels et engagés, traités avec audace. Je pense à Outrage, dont j’ai tout autant adoré le voyage littéraire.
Certains ont prétendu que le roman était autobiographique sur le simple fait que l’héroïne est, comme l’autrice, mariée à un homme aisé et qu’elle a des jumelles. En fait, c’est peut-être bien le seul point et je ne trouve pas que cela vaille un jugement de valeur et une confusion des genres. En toute objectivité (Et c’est la raison pour laquelle je ne parlerais à aucun moment de l’autrice en tant que femme ou personne privée), ce roman court est écrit avec talent et se fait l’écho d’une catégorie bien particulière de la jeunesse française à une époque donnée : celle que la prostitution « chic », sortie des trottoirs pour s’étaler dans les grands restaurants et les hôtels de luxe, et de ces jeunes femmes qu’elle a sauvagement secouées à grand renfort de cocaïne et de champagne rosé. Elle a connu une grande expansion dans les milieux étudiants des années 90 et ce roman à l’immense qualité de nous dire pourquoi, comment, et de quelle manière ça s’est souvent terminé.
La jolie flamme brûle, le mirage dissimule les écueils, et ce roman, sublime et sauvage vous pousse au naufrage avec un indiscutable brio.
À lire, absolument, si vous avez l’esprit passionné, une jeunesse résistance pétrie de révolte qui, – quel que soit votre âge – vous tient au corps comme une revanche.
Coup de cœur pour moi ! < 3
